top of page

Kering face au défi Gucci

  • Administrateur
  • il y a 1 jour
  • 5 min de lecture

Kering figure depuis deux décennies dans le trio de tête du luxe mondial aux côtés de LVMH et de Richemont. Son portefeuille s’articule autour de marques iconiques de mode et maroquinerie (Gucci, Saint Laurent, Bottega Veneta, Balenciaga, Alexander McQueen, Brioni), d’une division joaillerie (Boucheron, Pomellato, DoDo, Qeelin), d’activités eyewear et, depuis 2023, d’un pôle beauté. En 2022, le groupe affichait encore un chiffre d’affaires record de 20,4 Mds € pour 47 000 salariés. Mais la dynamique s’est brutalement retournée : 19,6 Mds € de ventes en 2023 (-4 %) puis 17,2 Mds € en 2024 (-12 %).


Géographiquement, la zone Asie-Pacifique reste le premier débouché (≈ 30 % des ventes en 2024), devant l’Europe de l’Ouest (≈ 30 %) et l’Amérique du Nord (≈ 25 %). Cette répartition expose fortement Kering aux cycles de consommation chinois et américains. Sur le plan capitalistique, la famille Pinault conserve 42 % du capital et près de 60 % des droits de vote via Artémis, garantissant une gouvernance stable mais aussi une grande liberté stratégique.


2023-2024 : le coup d’arrêt


Ralentissement puis chute des revenus

Après l’euphorie post-Covid, la demande s’essouffle dès 2023 : effets de change défavorables, affaissement du réseau wholesale et absence de nouveautés majeures ralentissent les ventes. La situation empire en 2024 : fréquentation moindre en boutiques, consommation aspirante en berne aux États-Unis, reprise chinoise plus lente, et réduction accélérée du wholesale provoquent une contraction double : -13 % au détail et -22 % en gros.


Gucci, talon d’Achille du conglomérat

Gucci, qui génère près de la moitié des revenus et deux tiers du résultat opérationnel, perd 23 % de ventes en 2024. La transition créative post-Alessandro Michele, l’intérim marketing et la montée en gamme partiellement comprise ont fait fuir une partie de la clientèle, tandis que le repositionnement plus épuré de Sabato De Sarno ne produira sa pleine mesure qu’en 2025. Chaque point de croissance perdu chez Gucci se répercute mécaniquement sur l’ensemble du groupe, donnant au redressement de la Maison un caractère vital.


Marges comprimées : effet ciseau et mix défavorable

En deux exercices, la marge opérationnelle courante passe de 27,5 % (2022) à 14,9 % (2024). Trois facteurs expliquent ce choc :

  • Base de coûts fixes élevée. Ouvertures flagships, rénovations spectaculaires (Milan, New York), montée en puissance des équipes créatives et dépenses marketing soutenues n’ont pas pu être ajustées au rythme de la chute de chiffre d’affaires.

  • Bascule du wholesale vers le retail. Réduire les multimarques renforce l’exclusivité mais prive temporairement de volumes à forte marge.

  • Investissements stratégiques naissants. Création de Kering Beauté, intégration de Creed, préparation du partenariat Valentino et développement accéléré d’Eyewear consomment capital et OPEX sans contribution immédiate.


À l’échelle des principales Maisons, la réalité diffère : Gucci reste la plus rentable en volume mais voit sa marge fondre d’environ dix points ; Saint Laurent recule d’un tiers pour tomber autour de 21 % ; Bottega Veneta, en phase d’expansion, plafonne à 19 % – un niveau encore éloigné des standards sectoriels.



Acquisitions et foncier : préparer l’avenir à coups de milliards


Partenariat stratégique avec Valentino

L’entrée à 30 % du capital de Valentino (1,7 Md €) ouvre la voie à un rachat total d’ici 2028. L’opération diversifie le portefeuille et pourrait ajouter à terme plus de 2 Mds € de ventes annuelles, réduisant la dépendance à Gucci.


Créed, première pierre de la beauté

Le rachat de Creed – parfumeur de niche ultrarentable – dote le nouveau pôle beauté d’une marque profitable, d’un réseau global et d’un savoir-faire industriel. Cette tête de pont servira à rapatrier, à terme, les licences beauté de Gucci ou YSL et à lancer de nouvelles lignes skincare.


Le pari immobilier

Plus de 2,8 Mds € ont été engagés pour acquérir des emplacements iconiques (Fifth Avenue à New York, via Monte Napoleone à Milan, Prime Paris…) et sécuriser des mètres carrés d’exception. Posséder plutôt que louer confère une maîtrise long-terme de l’environnement de marque mais alourdit le bilan au moment où les flux de trésorerie se contractent.


Dégradation du profil financier


La dette nette atteint 10,5 Mds € fin 2024, soit 2,3 × l’EBITDA, contre 1,3 × un an plus tôt. La génération de cash libre a été divisée par deux, tandis que le dividende a été coupé de plus de moitié (6 € par action) pour préserver la liquidité. Pour éviter un resserrement excessif, la direction étudie la filialisation de son parc immobilier, susceptible d’accueillir des investisseurs extérieurs et de réduire le levier consolidé. Les agences de notation surveillent toutefois la trajectoire de la marge : si Gucci ne rebondit pas rapidement, l’investissement grade pourrait être remis en question.


Les relais de croissance identifiés


  1. Relance de Gucci. Le succès commercial des premières collections De Sarno conditionnera la reprise à court terme. Un retour aux 10 Mds € de ventes d’avant-crise accrûrait le chiffre d’affaires groupe d’environ 30 %.

  2. Ascension de Saint Laurent et Bottega Veneta. YSL vise explicitement les 5 Mds € en capitalisant sur une allure parisienne intemporelle et un réseau retail sélectif. Bottega, forte d’une direction créative acclamée, poursuit sa conquête de la clientèle premium occidentale et asiatique.

  3. Expérience Beauté intégrée. Creed servira de plateforme industrielle pour rapatrier progressivement les parfums Gucci et Saint Laurent, et lancer des soins haut de gamme. La beauté, moins cyclique et à forte marge brute, peut soutenir les cash-flows futurs.

  4. Joaillerie et accessoires. Boucheron, Pomellato et Qeelin progressent à deux chiffres, profitant de la montée en puissance de la clientèle féminine asiatique et d’un storytelling patrimonial. Si une opportunité d’acquisition (par exemple Buccellati ou une maison suisse indépendante) se présentait, Kering pourrait franchir un cap.

  5. Expansion géographique et digitale. Inde, Asie du Sud-Est et Moyen-Orient offrent un réservoir de croissance où le groupe est encore sous-représenté. Sur le digital, une stratégie omnicanale unifiée et la valorisation des données CRM devraient faire grimper la part du e-commerce de 15 % vers 25 % des ventes directes d’ici 2028.


Conclusion : la décennie de vérité


Kering aborde 2025-2030 avec des atouts solides – savoir-faire artisanal, marques globales, contrôle familial stable – mais aussi avec une dépendance accrue aux performances de Gucci. Le groupe a choisi d’investir massivement malgré le ralentissement pour bâtir des relais de croissance (Valentino, Creed, immobilier prime). Ce pari à long terme pèse aujourd’hui sur la profitabilité et le levier financier ; il ne sera validé que si la créativité et le désir de marque reviennent rapidement. À court terme, la priorité absolue reste la reconquête de la clientèle Gucci et la stabilisation de la marge. À moyen terme, la montée en puissance de la beauté, de la joaillerie et des marchés émergents doit permettre à Kering de dégager une croissance plus équilibrée et de renouer avec des marges dépassant 25 %. Dans le concert des géants du luxe, la maison aux cinq lions joue désormais la « seconde manche » de son histoire ; elle a les cartes pour la remporter, à condition d’exécuter sans faute.




Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page