Sanlorenzo : maître italien du yacht sur-mesure et de l’innovation durable
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- 11 juin
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Depuis sa naissance en 1958 à Viareggio, Sanlorenzo s’est imposé comme l’un des porte-drapeaux du luxe nautique. Sous l’impulsion de Massimo Perotti, héritier spirituel du fondateur Giovanni Jannetti et actionnaire majoritaire, le chiffre d’affaires a bondi d’environ 40 millions d’euros en 2004 à 840 millions en 2023. Cette montée en puissance s’appuie sur un savoir-faire artisanal, un design italien célébré, quatre chantiers concentrés entre Ligurie et Toscane et, surtout, une philosophie : chaque yacht, qu’il mesure 24 mètres ou 73 mètres, doit être « tailor-made » pour son propriétaire.
ADN artisanal et modèle économique
Sanlorenzo ne produit pas en série ; il crée des pièces uniques. Trois divisions structurent l’offre : la Yacht Division (24-38 m, coque composite), la Superyacht Division (40-73 m, aluminium ou acier) et Bluegame (13-23 m, « sport utility » boats). À cela s’ajoute une division High-End Services – refit, charter mono-marque, formation – qui élargit le cycle de vie client. Le modèle capitalise sur une sous-traitance élevée : le groupe garde la conception, la finition et le contrôle qualité, tandis que de nombreux modules structurels proviennent d’un réseau local de PME hautement spécialisées. Cette flexibilité aligne la capacité aux carnets de commandes et limite l’immobilisation de capital.
Marchés géographiques : d’une Méditerranée historique à l’Asie émergente
En 2024, l’Europe – Méditerranée en tête – génère encore 61 % du chiffre d’affaires. Pourtant, la dynamique la plus spectaculaire vient des Amériques : +54 % l’an dernier pour représenter 16 % des ventes, portées par la filiale Sanlorenzo Americas et le pouvoir d’achat inégalé des UHNWIs nord-américains. Mais l’avenir se joue surtout en Asie-Pacifique. La pénétration du yachting y demeure embryonnaire ; à peine 3 % des particuliers disposant de plus de 50 millions de dollars possèdent un yacht, contre plus du double en Méditerranée. Le rachat de Simpson Marine en 2024 fournit un réseau « plug-and-play » dans toute la région, des marinas de Hong Kong aux bases australiennes. Enfin, le Moyen-Orient pèse 13 % : Dubaï, NEOM ou Doha multiplient les marinas, mais l’instabilité géopolitique rend le marché volatile.
Position concurrentielle : luxe discret versus production de masse
L’univers du yacht de 24-50 m est dominé par les gros volumes de Ferretti et Azimut-Benetti. Sanlorenzo, lui, se place sur la rareté et la personnalisation. Entre 2006 et 2021, son chiffre d’affaires a crû de 514 %, contre moins de 20 % pour ses rivaux italiens. À l’autre extrémité, les géants du méga-yacht allemand ou néerlandais (Lürssen, Feadship) règnent au-delà de 80 m. Sanlorenzo occupe ainsi un créneau médian où la demande reste largement insatisfaite : des clients assez fortunés pour exiger l’unique, sans pour autant viser un palace flottant de 100 m.
Facteurs de croissance 2019-2025
Personnalisation extrême : collaboration avec Lissoni, Citterio ou Urquiola pour des intérieurs sur mesure, plans asymétriques, terrasses latérales et open-space au ras de l’eau.
Innovation technologique : propulsion hybride, prototypes hydrogène pour l’America’s Cup, matériaux composites allégés réduisant la consommation.
Distribution intégrée : showrooms propriétaires, événements « Elite », clubs privés et ventes directes qui limitent le risque de stock chez les concessionnaires.
Services à valeur ajoutée : programme de charter mono-marque, Sanlorenzo Timeless pour le refit et la revente, forte rétention de clients.
Durabilité : feuille de route « Road to 2030 » visant la neutralité carbone ; montée à bord de la tendance « green yachting ».
Relais de croissance 2025-2030
Gamme élargie : de 26 modèles en 2022 à 36 attendus en 2025, dont un superyacht acier de 73 m et des catamarans Bluegame. La longueur moyenne progresse, renforçant le prix unitaire.
Voile de prestige : prise de 60 % de Nautor’s Swan, synonyme d’entrée dans la grande plaisance à voile, séduisant une clientèle plus soucieuse de silence et d’empreinte carbone.
Asie-Pacifique : déploiement de Simpson Marine et bureaux à Singapour, Ho Chi Minh-Ville, Sydney. Objectif : doubler la part de la région d’ici 2028.
Technologies propres : R&D sur le méthanol, l’hydrogène et les bio-carburants, capteurs IoT pour optimiser la maintenance prédictive.
Charter & revente : industrialisation de la flotte Sanlorenzo Charter pour rentabiliser les yachts et créer un flux de revenus récurrents.
Politique de croissance externe
Trois acquisitions clés renforcent l’écosystème :
Equinoxe (2022) : intègre la location haut de gamme et consolide les services.
Simpson Marine (2024) : offre un guichet unique en Asie pour la vente, la maintenance et le refit.
Nautor’s Swan (2024) : ouvre la voie à des synergies de R&D et à un segment voile premium complémentaire.La logique de ces opérations est claire : contrôler la distribution, couvrir l’ensemble du cycle de vie du yacht et diversifier l’offre produit tout en restant dans l’ultra-luxe.
Profondeur du marché mondial et perspectives de demande
Le yachting de luxe pèse environ 26 milliards de dollars en 2023 et devrait atteindre 40 milliards à l’horizon 2029, soit un taux annuel moyen proche de 8 %. La progression du nombre d’UHNWI (+6 % par an) soutient la thèse. Malgré un léger ralentissement post-pandémie, les carnets de commandes restent supérieurs à un an de production ; Sanlorenzo affiche ainsi une visibilité jusqu’en 2027 sur certaines gammes. Le marché demeure oligopolistique : l’Italie fournit presque la moitié des unités de plus de 24 mètres, tandis que l’Allemagne et les Pays-Bas trustent le segment géant. Cette concentration stimule la course à l’innovation et à la différenciation, deux domaines où Sanlorenzo excelle grâce à son approche « couture ».
Risques et défis
Macro-économie : la hausse des taux renchérit le financement des acheteurs ; un retournement boursier pourrait reporter des commandes.
Inflation des coûts : l’aluminium, l’acier et les moteurs à faibles émissions renchérissent la construction ; Sanlorenzo compense par le pricing-power mais la marge pourrait s’éroder.
Géopolitique : conflits au Moyen-Orient ou sanctions contre certains milliardaires (Russes, Chinois) peuvent geler des projets.
Pression réglementaire : normes environnementales de l’Organisation maritime internationale ou taxes carbone sur le yachting pourraient accélérer la transition vers la propulsion propre, poussant Sanlorenzo à investir plus vite que prévu.
Conclusion
En se forgeant une identité distincte – artisans italiens, design signature, innovation verte – Sanlorenzo a transformé un créneau d’initiés en une success-story industrielle. L’extension de la gamme, la percée asiatique et la création d’un bouquet de services premium constituent des vecteurs de croissance solides pour la prochaine décennie. Dans un marché du yacht où la rareté et l’expérience priment, le groupe dispose encore d’un réservoir de clientèle quasiment intact, en particulier en Asie-Pacifique. La réussite dépendra de sa capacité à maintenir son exclusivité tout en maîtrisant les défis de coût, de durabilité et de géopolitique. Mais si l’histoire récente – +514 % de chiffre d’affaires en quinze ans – sert de guide, Sanlorenzo semble en excellente position pour naviguer vers de nouveaux horizons.
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