Richemont renforce son empire joaillier face aux vents contraires du luxe mondial
- Administrateur
- 12 juin
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Depuis sa création en 1988, Compagnie Financière Richemont s’impose comme le gardien des savoir-faire joailliers et horlogers suisses. Avec des Maisons iconiques telles que Cartier, Van Cleef & Arpels et Jaeger-LeCoultre, le groupe affiche un chiffre d’affaires d’environ 21 milliards d’euros en 2025 et emploie 40 000 personnes. Sa stratégie repose sur trois piliers : concentration sur des produits tangibles à forte valeur intrinsèque, contrôle direct de la distribution et investissements soutenus dans l’innovation digitale.
Structure du portefeuille et poids financier des segments
Le portefeuille de Richemont s’articule autour de quatre pôles, chacun répondant à une logique économique distincte.
Joaillerie – Porter la couronne du groupe : Cartier, Van Cleef & Arpels, Buccellati et désormais Vhernier représentent près de 70 % du chiffre d’affaires consolidé et plus de quatre-cinquièmes du résultat opérationnel. La combinaison d’un pouvoir de marque exceptionnel, d’un pricing power élevé et d’une distribution en propre à forte marge fait de ce pôle la locomotive financière. La marge EBIT dépasse régulièrement 30 %, offrant au groupe une forte capacité d’autofinancement.
Specialist Watchmakers – Un joyau sous-exploité : IWC, Jaeger-LeCoultre, Vacheron Constantin, Panerai, A. Lange & Söhne, Piaget et Baume & Mercier réalisent environ 18 % des ventes mais peinent à convertir ce volume en profits. Après un rebond post-pandémie, la marge a rechuté sous 6 % en 2025, pénalisée par les coûts industriels suisses, la concurrence d’acteurs indépendants et une exposition plus marquée au tourisme international. La priorité est de recentrer les collections, d’intensifier la vente directe et de mutualiser la R&D pour faire remonter la rentabilité au-delà de 10 %.
Distribution en ligne et seconde main – Le laboratoire omnicanal : Watchfinder&Co., Montblanc.com et l’ancienne participation dans YNAP assurent entre 8 % et 10 % des revenus, avec une contribution bénéficiaire encore modeste. Ce pôle est néanmoins stratégique : il fournit au groupe une maîtrise des données clients, une visibilité sur le marché de l’occasion et un terrain d’expérimentation pour les services digitaux (paiement, personnalisation).
Mode et accessoires – Vitrine créative et diversification sélective : Montblanc, Chloé, Alaïa et, depuis 2024, Gianvito Rossi concentrent autour de 5 % du chiffre d’affaires. Leur rôle principal est d’élargir l’offre lifestyle du groupe et de maintenir la désirabilité auprès d’un public plus large. Les marges y sont plus modérées mais l’effet d’image se répercute positivement sur les segments cœur.
Cette architecture accentue le positionnement de Richemont : la joaillerie comme moteur de profit, l’horlogerie comme potentiel à raviver, le digital comme catalyseur de relation client et la mode comme rampe de storytelling.

Gouvernance et structure capitalistique
La famille Rupert, via Compagnie Financière Rupert, détient 100 % des actions B et contrôle 51 % des droits de vote avec seulement 10 % du capital. Cette gouvernance duale protège la vision long terme : Johann Rupert demeure président ; Nicolas Bos, ex-CEO de Van Cleef & Arpels, dirige le groupe depuis 2024 avec un mandat clair : accélérer la digitalisation, renforcer la joaillerie et restaurer la rentabilité horlogère.
Positionnement stratégique face à LVMH et Kering
LVMH règne sur la mode et la maroquinerie, Kering sur les griffes créatives ; Richemont concentre son savoir-faire sur des produits pérennes en métaux et pierres précieuses. Dans un environnement macroéconomique incertain, ce « luxe dur » résiste mieux : les bijoux conservent une valeur refuge, tandis que la demande pour la mode cyclique se normalise. Le modèle de boutiques mono-marques, à marges élevées, et la capacité de Cartier à lancer des collections iconiques positionnent Richemont comme référence mondiale de la haute joaillerie.
Modernisation opérationnelle
Pour soutenir la croissance, Richemont a :
Noué une alliance avec Farfetch pour transférer 47,5 % de YNAP et accéder aux technologies omnicanales de la plateforme.
Accéléré la vente directe : 76 % des revenus proviennent désormais de canaux détenus en propre, limitant la dépendance aux distributeurs multimarques.
Rationalisé le portefeuille : sorties des plateformes e-commerce peu rentables, acquisitions ciblées (Gianvito Rossi, Vhernier).
Réorganisé l’horlogerie : autonomie accrue des CEOs de Maison et recentrage sur les complications haut de gamme.
Défi majeur : la faible profitabilité horlogère
Malgré un redressement partiel en 2023, la division horlogère reste fragile. Les coûts fixes industriels élevés, la dépendance à un réseau wholesale gourmand en remises et la cyclicité plus marquée de la demande laissent la marge sous 6 %. Richemont compte : réduire les références, intensifier le direct-to-consumer, enrichir l’offre de services (certification, restauration) et mutualiser la R&D des calibres pour redresser la rentabilité.
Ralentissement chinois : risque et opportunité
La Chine représentait près d’un tiers des ventes Asie-Pacifique ; la contraction de 19 % des revenus régionaux en 2024/25 a révélé la vulnérabilité du groupe. Deux amortisseurs jouent toutefois à plein : la diversification géographique (Amériques +10 %, Japon +32 %, Moyen-Orient +15 %) et un mix produit premium plus résilient. À court terme, Richemont élargit la clientèle domestique via des services exclusifs. À moyen terme, la croissance viendra de l’Inde, de l’ASEAN et du Golfe, marchés où la richesse progresse rapidement.
Perspectives financières
Chiffre d’affaires : croissance annuelle moyenne attendue entre 6 % et 7 % sur 2025-2027, portée par la joaillerie (+8 %), l’e-commerce (+15 %) et la reprise progressive de l’horlogerie (+4 %).
Marge EBIT : maintien au-dessus de 25 % grâce au mix produit et aux gains de productivité, malgré la hausse du coût du travail qualifié en Suisse.
Cash-flow disponible : génération supérieure à 4 milliards € par an, couvrant les capex de modernisation (≈ 700 M €) et un dividende stable autour de 40 % du résultat net, sans recours significatif à la dette (dette nette/EBITDA < 1×).
Conclusion
Avec un portefeuille dominé par la joaillerie, un contrôle serré de la distribution et une politique d’investissement ambitieuse mais disciplinée, Richemont apparaît solidement armé pour affronter les cycles du luxe mondial. La capacité du groupe à revitaliser son horlogerie, à tirer parti de l’omnicanal et à diversifier ses marchés au-delà de la Chine sera décisive sur 2025-2027. Si ces chantiers aboutissent, Richemont consolidera son statut de référence absolue du « luxe dur » et continuera de créer une valeur durable pour ses actionnaires.
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