Burberry face au défi du luxe accessible
- Administrateur
- 16 juin
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Longtemps associée au trench-coat kaki et au tartan camel, Burberry demeure l’un des rares groupes de luxe indépendants cotés à Londres. Après avoir résisté au choc sanitaire, la maison fait aujourd’hui face à un ralentissement brutal : son chiffre d’affaires est passé de 3,1 Mds £ en 2022/23 à 2,97 Mds £ en 2023/24, puis à 2,46 Mds £ sur l’exercice clos le 29 mars 2025, tandis que la marge opérationnelle ajustée s’est effondrée de 14 % à 1 %. Cette note de 1 500 mots retrace les ressorts de cette dégradation, évalue les risques financiers et expose les leviers que le nouveau management entend actionner pour renouer avec une croissance rentable.
Activités et modèle économique
Burberry repose sur trois piliers :
Prêt-à-porter (homme 30 %, femme 29 %, enfant 5 %) : l’ADN utilitaire – trench, parka, gabardine – est complété par des lignes mode confiées depuis 2023 au directeur artistique Daniel Lee.
Accessoires (36 % du CA retail/wholesale) : sacs, petite maroquinerie, foulards, ceintures et chaussures ; un segment stratégique pour la montée en gamme, mais très concurrentiel.
Licences : principalement la parfumerie (contrat avec Coty) et les lunettes, qui apportent des marges élevées mais seulement 2 % du revenu consolidé.
Le réseau atteint 455 points de vente – 227 magasins en propre, 139 concessions grands magasins, 33 franchisés et 56 outlets – complété par un site e-commerce mondial qui pèse désormais plus de 15 % des ventes retail. La marque teste aussi des expériences phygitales (réalité augmentée dans Snapchat, « social commerce » sur Tmall) pour capter une clientèle plus jeune.
Géographie : le poids décisif de l’Asie
Entre 2019 et 2024, Burberry a maintenu une présence comparable dans les trois grandes zones ; toutefois la contribution asiatique est passée de 40 % à 44 % du CA hors licences. La Chine continentale, Hong Kong et la Corée forment désormais la première base de clients. Or la normalisation post-COVID, la crise immobilière chinoise et la hausse de l’épargne de précaution ont sabré la demande locale : le quatrième trimestre 2024/25 affiche –19 % en Chine et –17 % en Asie-Pacifique. Les tours de détaxe en Europe ont partiellement compensé, ramenant l’EMEIA à 35 % du total, tandis que les Amériques stagnent à 21 %.
Le réseau a peu varié en nombre mais beaucoup en mix : fermetures de flagships peu rentables en Europe du Sud, ouverture de boutiques phares à Shenzhen et Séoul, et refit complet d’unités clés (Paris Rivoli, New York SoHo) pour soutenir le repositionnement premium.

Actionnariat et politique d’allocation du capital
Le capital reste atomisé : Lindsell Train (6,1 %), Schroders (5,4 %), Vanguard (4,4 %) et Norges Bank (3,2 %) composent la garde institutionnelle. L’absence d’actionnaire de contrôle laisse le champ libre au marché ; Burberry a cherché à soutenir son cours via des rachats d’actions massifs (400 M£ en 2022/23).
Cette politique, financée sur trésorerie propre, a réduit le flottant mais aussi le coussin de liquidités : la position nette est tombée de 961 M£ à 362 M£ en mars 2024, avant de basculer en dette nette de 90 M£ après l’émission obligataire de 450 M£ en 2025 destinée à refinancer les maturités courtes. La direction a donc suspendu le dividende sur 2024/25 pour préserver les ressources.
Positionnement concurrentiel : luxe accessible ou luxe aspirant ?
Burberry revendique un héritage de 168 ans et une fabrication européenne, mais son positionnement prix reste intermédiaire : un sac « Knight » à 3 000 £ se trouve très au-dessus des gammes premium de Coach, mais reste bien moins exclusif qu’un Kelly Hermès à 9 000 €. Dans un segment « accessible-luxe » déjà occupé par Michael Kors ou Ferragamo, l’ascension tarifaire engagée sous Riccardo Tisci a parfois brouillé le message ; Daniel Lee vise désormais « un spectre plus large de prix sans diluer l’aura ».
Trajectoire financière 2019-2025
Avant COVID (FY2019/20) : CA 2,63 Mds £, marge op. 15 %.Pandémie (FY2020/21) : recul de 3 % à change constant ; l’offensive digitale a amorti l’impact, mais le free cash-flow chute à 272 M£.Rebond (FY2021/22-2022/23) : reprise forte en Chine et en Corée, ventes à 3,09 Mds £, marge op. 21 %, trésorerie record de 961 M£.Inflexion (FY2023/24) : CA –4 % à 2,97 Mds £, marge op. 14 %, FCF 65 M£, stocks +16 %.Atterrissage brutal (FY2024/25) : CA –17 % à 2,46 Mds £, marge op. 1 %, bénéfice par action négatif. Les surstocks ont nécessité des démarques, amputant le taux de marge brute d’environ 170 pb. Les coûts fixes (loyers, pay-roll retail, refits) n’ont pas pu être ajustés aussi vite.
Pourquoi les ventes se sont-elles effondrées ?
Macroéconomie défavorable : inflation persistante dans les pays de l’OCDE, hausse des taux et chute du pouvoir d’achat des classes moyennes aisées – cœur de cible de l’accessible-luxe.
Chine en convalescence : le rebond post-réouverture a tourné court ; la clientèle voyageuse se reporte sur l’Europe où la détaxe reste attractive, laissant des boutiques chinoises sous-fréquentées.
Repositionnement prix : la montée en gamme rapide (+40 % sur un sac phare en quatre ans) a fait fuir des acheteurs historiques sans convaincre totalement les ultra-luxe-seekers, plus fidèles à Louis Vuitton.
Distribution sous optimisation : la fermeture volontaire de gros comptes wholesale (–35 % sur FY24) prive l’entreprise de volumes alors même que le retail propre n’a pas encore gagné en productivité.
Calendrier de collections : la transition stylistique entre Tisci et Lee a laissé un « trou d’air » créatif ; les premiers modèles Lee n’ont été livrés qu’au printemps 2024, limitant l’effet nouveauté.
Profitabilité sous pression : volumes, mix et coûts
La moitié de la baisse du résultat opérationnel s’explique par la contraction de 500 M£ des ventes ; l’autre moitié vient de :
Marque brute : démarques pour vider les stocks ; inflation des matières premières haut de gamme ; renchérissement du transport aérien.
SG&A : +7 % à change constant ; relance média pour le lancement de la ligne « Knight Blue » et travaux de modernisation de 50 magasins (CAPEX 151 M£ en 2024/25).
Effet devises : un GBP solide face au CNY et au USD a ôté 55 M£ de chiffre d’affaires et 10 M£ de profit.
Situation financière : solide mais rétrécie
Au 29 mars 2025 :
Trésorerie brute : 360 M£
Dette brute : 450 M£ (obligation 2025-2030 à 3,4 %)
Dette nette : 90 M£
Covenants : ratio dette nette/EBITDA cible < 2× ; l’EBITDA ajusté 2024/25 ressort à 150 M£, offrant un coussin théorique, mais limité.
Le bilan reste donc sain, mais la génération de cash vient de tomber sous le seuil de financement naturel des investissements. Le non-versement du dividende et les 80 M£ d’économies structurelles programmées en 2025/26 visent à reconstituer la réserve de liquidité avant de relancer la croissance organique.
Stratégie « Burberry Forward » : cinq leviers de relance
Retrouver la désirabilité produit : Daniel Lee recentre l’offre sur cinq icônes – trench, gabardine « Castleford », sac Knight, mocassin Shield, écharpe Check – déclinées à des prix plus échelonnés pour élargir la pyramide d’entrée.
Contrôler la distribution : réduction accrue des outlets, arrêt des concessions peu qualitatives et mise en place d’un système d’allocation inspiré d’Hermès pour geler les stocks et créer la rareté.
Optimiser l’inventaire : programme « Scarcity » visant –10 % de volume stock et rotation à 10 mois, soutenu par un module IA de prévision de demande.
Discipline coûts & CAPEX : enveloppe annuelle de 130 M£ (vs 180 M£ avant COVID) et plan d’économies opex de 80 M£ sur deux ans, dont 24 M£ déjà livrés.
Narration de marque : campagne mondiale « The Knight is back » filmée par Mert & Marcus, gamification AR sur Roblox et partenariat avec Manchester United pour toucher la Gen-Z internationale.
L’objectif annoncé est de revenir à 3 Mds £ de chiffre d’affaires et à une marge opérationnelle à deux chiffres à l’horizon 2027, sans acquisitions externes.
Risques et catalyseurs
Risques : intensification de la guerre commerciale USA–Chine ; prolongation de la faiblesse macro en Chine ; concurrence accrue des acteurs du luxe abordable (Tapestry-Capri, Prada-Miu Miu) ; dépendance à un nombre limité d’icônes ; execution risk du plan d’économies.
Catalyseurs : réouverture touristique complète en APAC ; succès commercial des premières collections Lee ; normalisation des stocks conduisant à un rebond mécanique de marge brute ; montée en puissance du e-commerce propriétaire (conversion uplift de 300 pb prévu) ; éventuel scénario spéculatif (convoitise d’un industriel du luxe ou d’un fonds souverain).
Conclusion
Avec une base d’actifs immatériels puissante, un réseau mondial et un bilan encore sain, Burberry ne manque ni d’histoire ni de ressources. Le défi est désormais d’exécuter rapidement un repositionnement plus cohérent : restaurer la rareté, redonner du « buzz » créatif et rétablir une structure de coûts soutenable. Si le plan « Burberry Forward » parvient à ramener la marge au-delà de 10 % d’ici trois ans, l’action pourrait retrouver sa place dans le FTSE 100 et son statut de référence du luxe britannique. À défaut, la maison risque de devenir une proie idéale pour un consolidateur en quête d’un label patrimonial. L’année 2025/26, encore attendue comme « challenging », sera décisive pour juger si le chevalier du trench peut de nouveau galoper parmi les champions du luxe mondial.
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