Valorisation boursière du transport maritime
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Depuis la sortie de la crise COVID, les armateurs ont publié des résultats exceptionnels. En 2022, par exemple, le rendement sur capital investi du segment conteneurs a dépassé 40 %, et les bénéfices cumulés de 2021‑22 ont représenté près de trois fois le total des deux décennies précédentes. Cette explosion des profits s’explique par la perturbation logistique post‑pandémique et des taux de fret historiquement élevés. On pourrait donc s’attendre à une forte valorisation boursière du secteur. Pourtant, les valeurs maritimes cotent sur des PER très bas (souvent < 5), signe que le marché valorise modestement ces gains records. Ce paradoxe – résultats historiques, PER historiquement bas – se trouve au cœur de ce rapport.
Analyse des indicateurs financiers (2015‑2024)
Les données disponibles montrent une flambée des bénéfices nets entre 2021 et 2022, suivie d’une normalisation partielle. Le bénéfice net de Maersk est passé de quelques centaines de millions d’euros en 2019 à 15,8 milliards en 2021 puis 27,4 milliards en 2022, avant de retomber autour de 5‑6 milliards en 2023‑2024. Dans le même temps, la capitalisation boursière de Maersk est passée d’environ 57,7 milliards d’euros fin 2021 à près de 25 milliards fin 2024. Ces chiffres impliquent un PER très faible pour les exercices 2021‑2024, proche de 3‑4. De fait, la plupart des grandes compagnies maritimes (Maersk, COSCO, Hapag‑Lloyd, CMA CGM, etc.) se négocient aujourd’hui à seulement quelques fois leurs bénéfices.
Une comparaison sectorielle illustre cet écart : en 2021, le secteur européen des semi‑conducteurs se traitait en moyenne plus de 40 fois ses bénéfices grâce à des perspectives de croissance élevées, quand les industries cycliques telles que la sidérurgie, l’automobile ou les banques restaient sous 10 fois. Le transport maritime rejoint donc ce groupe de « valeurs décotées ». Par exemple, ArcelorMittal cotait sous 3 fois ses profits malgré un exercice 2021 exceptionnel, le marché pariant déjà sur une normalisation rapide des bénéfices.

Comparaison avec d’autres secteurs
La sous‑valorisation du maritime contraste fortement avec celle des secteurs dits de croissance. Les entreprises technologiques (logiciels, semi‑conducteurs, plateformes numériques) s’échangent souvent entre 20 et 50 fois leurs bénéfices anticipés, car les investisseurs tablent sur une expansion durable. Même les majors pétrolières, après des profits records en 2022, affichent des PER légèrement supérieurs à ceux des armateurs (environ 6‑8), malgré une croissance jugée limitée. Au final, les compagnies maritimes se retrouvent au même rang que les industries cycliques historiques (mines, acier, charbon, ferroviaire), où l’on paie rarement cher des bénéfices considérés comme non pérennes.
Facteurs spécifiques expliquant la décote
1. Cyclicité et normalisation anticipéeLe transport maritime est un secteur cyclique par excellence. Les marchés estiment que les marges actuelles tiennent aux désordres temporaires de la chaîne logistique post‑COVID et à des crises ponctuelles (pandémie, tensions géopolitiques, demande de biens). Une fois ces déséquilibres résorbés et la capacité renouvelée, les profits devraient refluer. Les bénéfices de 2021‑22 sont donc vus comme « hors normes ».
2. Politiques de dividende et gouvernanceNombre d’armateurs redistribuent une grande part de leurs profits sous forme de dividendes – parfois jusqu’à 20‑30 % de rendement en 2022 – limitant les investissements de croissance future. De plus, la gouvernance (groupes familiaux, actionnariat public, accords d’alliances) peut être perçue comme opaque ou concentrée, ce qui accroît la perception de risque et réduit l’attrait boursier.
3. Enjeux ESG et image du secteurLe transport maritime utilise encore des carburants très polluants et représente une part significative des émissions mondiales de CO₂. Les investisseurs sensibles aux critères ESG s’inquiètent également de la faible fiscalité effective du secteur. La combinaison « profits élevés, fiscalité réduite, empreinte carbone importante » nuit à la perception du secteur, tandis que les coûts de décarbonation (nouvelles motorisations, carburants alternatifs, mises aux normes) menacent les marges futures.
4. Surcapacité potentielle et structure du marchéLes principales compagnies ont passé d’importantes commandes de navires neufs. Si la demande mondiale de transport de marchandises ralentit, ces livraisons pourraient créer une surcapacité, entraînant une chute des taux de fret. Les analystes soulignent déjà la concurrence accrue entre navires « verts » et la transition énergétique, susceptible de réduire plus vite que prévu la demande de transport pétrolier.
Synthèse
Les transporteurs maritimes ont affiché des résultats historiques entre 2021 et 2024, grâce à des conditions de marché exceptionnelles. Pourtant, ces mêmes circonstances incitent les investisseurs à la prudence : les bénéfices sont jugés temporaires dans un secteur hautement cyclique, bientôt confronté à des défis structurels (fin des perturbations COVID, surcapacité, coûts de décarbonation). Des politiques de dividende généreuses, une gouvernance parfois concentrée et une image ESG défavorable renforcent la décote. Ainsi, malgré de solides bilans, les compagnies maritimes se voient appliquer des multiples de valorisation modestes ; leur PER reflète la prudence du marché, convaincu que les « jours fastes » ne dureront pas.
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